Penser la complexité : Les jeux de l’ordre et du désordre
Penser la complexité
Dossier du numéro 47 de la revue Sciences Humaines
Les jeux de l’ordre et du désordre
Turbulence, chaos, systèmes complexes, auto-organisation... la théorie de la complexité offre de la nature et de la société une image nouvelle. A la vision d’un univers conçu comme une mécanique d’horlogerie s’oppose celle d’un système vivant, à la fois plus instable et imprévisible mais aussi plus ouvert et créateur.
ACHILLE WEINBERG
PAR QUELS MYSTÉRIEUX MÉCANISMES les molécules organiques se sont-elles assemblées entre elles, il y a quatre milliards d’années, pour donner naissance à la vie ? Comment surgissent et se développent les civilisations ? Comment les milliards de cellules de notre cerveau parviennent-elles à se coordonner pour créer de la pensée ? Quels mécanismes sous-tendent la croissance, les crises et les régulations de l’économie ? Comment se combinent les déterminismes biologiques, culturels et psychologiques dans une action individuelle ? Comment se déclenchent et se déroulent les guerres et les révolutions ?
Toutes ces questions ont quelque chose en commun. Elles mettent au défi les scientifiques de penser des phénomènes où interagissent une multitude de facteurs, où se combinent des principes de régulation et de déséquilibre, où se mêlent contingence et déterminisme, création et destruction, ordre et désordre, où enfin s’échafaudent des systèmes composés de niveaux d’organisation. La pensée de la complexité vise à construire des concepts et modes de raisonnements aptes à appréhender de tels phénomènes.
Un certain nombre de fausses idées circulent sur la complexité :
· La pensée de la complexité n’est pas une entreprise de démission intellectuelle qui consiste à affirmer que " tout est complexe " (synonyme de " on ne peut pas comprendre "). Elle n’est pas une pensée du brouillage, de l’imprécision, de l’incertitude. Son but est de construire des outils de pensée pour articuler entre eux les savoirs spécialisés.
· Elle n’est pas une pensée " holistique " qui privilégie le global sur l’analyse de ses composants. elle veut articuler le tout et ses parties, le global et le particulier en un aller et retour incessant.
La complexité n’est pas la complication. Une automobile est une machine très " compliquée ", mais démontable en un ensemble fini de pièces. En revanche, un organisme vivant, ou un phénomène historique est " complexe " dans le sens où il ne peut être décomposé et reconstruit à partir d’éléments simples et indépendants.
Les concepts essentiels
La boîte à outils de la complexité est aujourd’hui riche de plusieurs instruments de pensée. Ils ne forment pas encore une " théorie achevée ", mais plutôt un équipement conceptuel en cours d’élaboration. La pensée de la complexité est née à l’intersection de plusieurs théories : la théorie de l’information*, l’approche systémique, la théorie de l’auto-organisation, la théorie du chaos. Elle s’est enrichie par les réflexions de philosophes et scientifiques : l’économiste Herbert Simon, le physicien Heinz von Foerster, le sociologue Edgar Morin, le biologiste Henri Atlan, le chimiste Ilya Prigogine, etc.
La complexité offre de la nature et de la société une image nouvelle. A la vision d’un univers conçu comme une mécanique d’horlogerie s’oppose celle d’un système vivant, à la fois plus instable et imprévisible mais aussi plus ouvert et créateur.
Vu sous cet angle, la croissance économique n’apparaît plus comme un phénomène linéaire, qui s’appuierait sur un seul facteur déterminant (la technique par exemple). L’économie correspond à une dynamique instable, mue par une multiplicité de forces en interaction (rôle de l’Etat, technique, action des groupes sociaux innovateurs, culture...) qui tantôt convergent, tantôt s’affrontent. Dans ce processus, il existe des moments de stabilisation, des feed-back parfois positifs, parfois négatifs ; des moments de déstabilisation et des phénomènes d’émergence ; des bifurcations, des pôles de développement inégaux... Au demeurant, cette image du développement est beaucoup plus proche de la réalité que les modèles classiques (1).
Quelques applications
Les sciences de la nature utilisent largement des modèles complexes dans des disciplines comme l’écologie, les sciences de la terre, la cosmologie, la chimie. Exemple de recherche : auSanta Fe Institute, (Nouveau-Mexique, Etats-Unis) une équipe pluridisciplinaire cherche à modéliser sur ordinateur des " structures émergentes "*, c’est-à-dire des systèmes ayant l’étonnante capacité de passer spontanément d’un état de dispersion à un état d’organisation. On retrouve ce phénomène dans des domaines aussi différents que la formation des premières cellules vivantes à partir de molécules organiques, dans des systèmes écologiques qui semblent se constituer en superorganismes auto-régulés. Les modèles informatiques parviennent même à montrer que l’auto-organisation n’est pas un phénomène du purement aléatoire (comme le prévoit le darwinisme) mais une potentialité inscrite au coeur de nombreux systèmes vivants.
Dans les sciences de l’homme, l’application des théories de la complexité, plus timides, sont récentes. Deux grandes orientations se dégagent. D’abord, il s’agit d’appliquer rigoureusement les modèles formels de la systémique, de la théorie du chaos ou de l’auto-organisation à des phénomènes très précis. D’autres applications de la complexité sont plus " souples ". Elles consistent à transposer les notions de désordre, d’incertitude, de contingence, d’autonomie, de niveaux d’organisation, de degrés de liberté, d’interactions, dans l’analyse des phénomènes sociaux et humains.
· En économie, un champ de recherche actuel concerne l’utilisation de la théorie du chaos dans les modèles de croissance, de crise, ou de fluctuation. Au lieu de considérer le marché comme un système auto-équilibré (modèle néo-classique) on recherche au contraire s’il n’existe pas des comportements instables au sein de la bourse ou d’autres types de marché. Dans cette hypothèse, des variations infimes dans l’évolution d’un cours peuvent faire basculer un marché dans un état de déséquilibre dès lors qu’une masse critique a été atteinte (2).
· En sciences de la gestion,de nombreuses tentatives ont été faites pour utiliser les modèles de la systémique et de la " théorie des systèmes complexes " afin de comprendre les changements dans les organisations (par crise ou par régulation), les problèmes de décision et d’en déduire des applications pratiques (3).
· En psychopathologie, il existe également des tentatives pour interpréter les troubles psychiques à partir des théories de la complexité en psychopathologie. C’est ainsi que Max Pagès tente d’articuler entre eux les systèmes psychiques, émotionnel et social dans la formation de la personnalité (4)
· Certains géographes et socio-économistes tentent d’interpréter le " système mondial " comme une architecture complexe où s’enchevêtrent plusieurs niveaux d’organisation (local, communautaire, étatique, international), plusieurs systèmes d’action (monétaire, économique, géopolitique, démographique, écologique, idéologique). Il s’agit de démêler les sous-systèmes pour ensuite en reconstruire les interconnections (voir article de Jacques Lévy dans ce numéro)
· La prospective a aujourd’hui intégré les modèles complexes. Le temps n’est plus à la "prévision ", qui consistait à prolonger les tendances en cours (croissance économique ou démographique) pour tracer l’avenir. Le modèle actuel du prospectiviste est plus proche de la météorologie que de la balistique. On admet les scénarios avec des bifurcations, des transitions de phases, des états stables, des interactions entre niveaux politiques, économiques et monétaires. Cela donne une image plus ouverte de l’avenir et laisse plus de place à la créativité. Pour autant, cela ne signifie pas que "tout est possible " et donc que rien n’est prévisible. L’avenir est la rencontre de " déterminismes, de hasard et de volonté " (J. Lesourne). Il s’agit donc de faire la part entre les contraintes lourdes, les tendances plus incertaines et les moments de basculement possibles. Il est alors possible de tracer les contours de plusieurs scénarios d’anticipation, plus ou moins probables, qui servent alors de tableaux de bord pour une action (5).
· Complexité et système social.
Paradoxalement, l’étude des systèmes sociaux a été assez peu explorée par les théories de la complexité. Le philosophe JeanPierre Dupuy, directeur du Centre de recherche en épistémologie appliquée de l’Ecole Polytechnique, se préoccupe d’articuler sciences de la complexité et sciences sociales pour tenter de répondre à un vieux problème de la philosophie politique. " Comment se forme une société à partir d’individus séparés ? " Le problème se pose ainsi : sachant que la société est formée d’individus autonomes et que le résultat de leur action leur échappe en partie, comment se fait-il qu’il puisse résulter de cette agrégation de comportements individuels une société (relativement) ordonnée et régulée ? C’est en s’appuyant sur la théorie de la main invisible d’Adam Smith (auto-organisation du marché) et des théories de l’auto-organisation que J.-P. Dupuy tente de résoudre le problème (6).
· Edgar Morin a, de son côté, prolongé sa " méthode de la complexité " à des phénomènes humains aussi divers que l’évolution de l’URSS, l’émergence de la nation, la constitution du sujet individuel, la nature des crises sociales (7). Malgré ces tentatives dispersées, les applications des théories de la complexité aux sciences humaines restent assez fragmentaires. Le risque existe aussi de les voir se dégrader en idéologie " molle ". La pensée de la complexité se veut un nouveau paradigme en voie de constitution. Y parviendra-t-elle ? Si le programme de recherche et les questions qu’elle pose semblent incontournables, si les programmes de recherche qu’elle suscite semblent prometteurs, il faut bien admettre que les applications sont encore très fragmentaires, les résultats concrets restent a venir.
NOTES
(1) Voir " Positive Feed-back in the Economy ", W. Brian Arthur, Scientific American, feb. 1990.
(2) G. Abraham-Frois, dir., " La Dynamique chaotique ", Revue d’économie politique ; n° 2/3, 1994.
(3) M. Bonami, B. de Hennin, J.-M. Boqué, J.-J. Legrand, Management des systèmes complexes,De
Boeck, Université, 1993 ; A.C. Martinet, " Stratégie et pensée complexe " Revue française de gestion, n° 86, 1993.
(4) Max Pagès, " Psychothérapie et complexité ", Hommes et perspectives, 1993.
(5) Voir P. W. Anderson et alii, The Economy as an evolving complex system, Addsison.Wesley, 1988.
(6) J.-P. Dupuy, Introduction aux sciences sociales, éd. Elypses, 1993.
(7) De la nature de l’URSS, Fayard, 1983 ; La Complexité humaine, Flammarion, 1994 ;Sociologies, Seuil, réed. 1994.
APPROCHE SYSTEMIQUE
L’approche systémique (A.S.) est née dans les années 40 aux confins de la biologie et de l’électronique (étude des systèmes de pilotage automatique). Elle a permis d’établir des propriétés générales de systèmes aussi différents que les cellules vivantes, les automates ou les organisations humaines. L’A.S. n’est pas une science qui aurait dégagé des " lois " qui s’imposent aux systèmes vivants. Elle est une méthode d’étude des relations possibles qui se nouent au sein de systèmes.
Les propriétés les plus connues sont :
1) le principe d’interaction ou d’interdépendance implique que chaque élément d’un système est dépendant des autres éléments. Par exemple : l’évolution de l’économie française est dépendante de la situation des autres économies nationales.
2) Selon le principe de totalité " le tout est supérieur à la somme des parties ", c'est-à-dire qu’il existe des propriétés émergentes* qui résultent de l’assemblage des éléments entre eux. Ainsi, une organisation humaine (comme une Eglise ou un parti), bien que fondée par des individus, se perpétue bien au-delà de la vie de ses fondateurs.
3) Le feed-back, ou principe de rétroaction, décrit un dispositif où un élément A agit sur un élément B qui, en retour, " rétroagit " sur A formant ainsi une boucle de rétroaction. Par exemple : en économie, l’augmentation des prix peut conduire à l’augmentation des salaires (s’il existe une norme d’indexation) qui, à son tour, conduit à une augmentation des prix (si les employeurs répercutent l’augmentation des salaires sur les prix de leurs produits. Il se forme ainsi mécanismes de régulation (cas du thermostat), des spirales ascendantes ou encore des spirales descendantes.
L’AUTO-ORGANISATION
Le paradigme de l’auto-organisation émerge au cours des années 70.
Il est issu de plusieurs courants de pensée qui convergent autour du problème suivant : comment penser les phénomènes d’organisation spontanés comme la création des galaxies à partir de particules en mouvements désordonnés, l’émergence de la vie à partir de matière inorganique, la complexification des organismes vivants au cours de l’évolution.
Quelques auteurs phares
Heinz von Foerster est un pionnier de l’auto-organisation. Secrétaire des conférences Macy, il est à l’origine de ce que l’on a nommé la " seconde cybernétique ", formulant le premier, en 1960, le principe de " l’ordre par le bruit " (Order from Noise). Selon ce principe, il ne peut y avoir d’organisation qu’à la charnière entre l’ordre parfait et le désordre.
Henri Atlan. L’ordre par le bruit. Biologiste et philosophe. Il a formalisé dans les années 70 une théorie de l’organisation par le " bruit " (c'est-à-dire le hasard, le désordre) applicable aux systèmes vivants. L’idée générale en est la suivante : l’organisme vivant se situe dans un état d’organisation à mi-chemin entre le modèle du cristal (très ordonné mais inerte) et la fumée (formée de particules désordonnées et aux formes évanescentes). La caractéristique du vivant est justement de pouvoir intégrer le " bruit ", c'est-à-dire une information extérieure et d’en faire un facteur d’auto-organisation.
Ilya Prigogine. Né en 1917, prix Nobel de Chimie en 1977 pour ses travaux sur les structures dissipatives. Prigogine se préoccupe de savoir dans quelles conditions un ordre (dans un processus chimique ou physique) peut se former à partir d’un désordre initial.
Si on jette un caillou dans une casserole d’eau, les molécules, dont le mouvement est d’abord désordonné, vont subitement se déplacer selon les courants orientés (instabilité dite " de Bénard "). Derrière le bouillonnement apparent de l’ébullition, il y a bien un ordre qui s’est créé. Là encore, on peut parler de structures dissipatives.
Il ne faut pas chercher dans le paradigme de l’auto-organisation une théorie unifiée. Il s’agit d’un ensemble de recherches, hypothèses, théories, partiellement convergentes.
L’auto-organisation ; de la physique au politiqu, colloque de Cerisy, ed. Seuil, 1983.
LA THEORIE DU CHAOS
Par " théorie du chaos ", on désigne des modèles mathématiques décrivant le comportement de certaines fonctions au comportement instable, apparemment imprévisible. C’est le mathématicien H. Poincaré qui, au début de ce siècle, a mis au jour les premières équations dites " non-linéaires " au comportement chaotique. Mais c’est à partir des années 70 que la théorie du chaos a connu un véritable essor et qu’elle a été appliquée à de nombreux domaines : météorologie, dynamique des fluides, physique, chimie, économie.
· " L’effet papillon " ou l’infime sensibilité aux conditions initiales. " L’effet papillon ", c’est l’idée selon laquelle une petite cause peut provoquer de grands effets et qui suppose qu’un battement d’aile de papillon sur la baie de Sydney pourrait provoquer un typhon en Floride. Dans les années 60, le météorologue E. Lorenz a tenté de construire des modélisations informatiques du climat. Il a découvert le même phénomène. Une infime variation des données de départ conduit à des états finaux totalement différents.
· Les bifurcations. Les zones où une fonction chaotique change brusquement de trajectoire (en fonction d’une infime variation des conditions initiales) s’appelle une bifurcation.
· Les attracteurs. Ils désignent les zones vers lesquelles la fonction étudiée tend à converger à certains moments. C’est ce point limite que l’on nomme attracteur.
· Les fractales. Découvertes par le mathématicien Benoît Mandlebrot, ce sont des figures mathématiques aux formes désordonnées (à l’image d’un arbre) qui peuvent être construites à partir de schémas géométriques simples.
Si de nombreux phénomènes physiques ou chimiques semblent répondre à cette logique chaotique (comme l’écoulement des fluides), il convient de remarquer que la théorie du chaos est d’abord une théorie mathématique et non une découverte physique ou chimique.
De plus, la théorie du chaos est rigoureusement déterministe contrairement à ce que laissent supposer les termes de désordre, d’incertitude, d’instabilité qui lui sont associés. En effet, les équations suivant une logique mathématique implacable. Il n’y a pas indéterminisme de la courbe elle-même, mais impossibilité pour le scientifique de connaître avec suffisamment de précision les données initiales pour prédire l’évolution. Enfin, le phénomène des " attracteurs " joue en faveur de la stabilisation du système et non de son désordre.
Appliquée aux sciences humaines, la théorie du chaos privilégie les brusques mutations dans l’évolution sociale (en histoire, en économie...). Dans ce sens, elle s’oppose à l’idée d’évolution linéaire et prévisible. Au contraire, avec la notion d’attracteurs, elle souligne les tendances à la stabilisation (d’une organisation, d’une société).
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· Dialogique
Au sens courant "qui est en forme de dialogue ". En linguistique, l’idée de dialogique a été introduite par le linguiste russe Bakhtine. Pour lui, la signification d’un mot n’est pas le reflet d’une essence (objet ou pensée) unique. Le langage est avant tout le produit du dialogue et les mots sont eux-mêmes traversés de sens divers qui leur sont attribués par l’interaction verbale.
Edgar Morin emploie la notion de dialogique pour désigner cette idée qu’en toutes choses humaines coexiste et se déploie des logiques diverses et irréductibles à une seule d’entre elle.
· Théorie de l’information
La théorie quantitative de l’information a été élaborée dans les années 40. Son exposé méthodique, par l’ingénieur Claude E. Shannon, date de 1949.
Selon ce modèle, l’information qui circule entre un émetteur et un récepteur peut être mesurée quantitativement. Une information traduit une réduction d’incertitude : plus je possède d’information sur une chose, plus je réduis mon incertitude sur elle.
Le bruit (Noise) qui vient parasiter un message, réduit l’information et augmente l’incertitude. Le bruit est le contraire de l’information. Toute information peut être considérée comme un facteur d’ordre dans un système dans la mesure où il diminue l’incertitude. Informer = mettre en forme (Aristote).
La quantité d’informations peut donc être considérée comme la mesure de l’organisation d’un système.
· Emergence
La notion d’émergence exprime l’apparition des propriétés nouvelles qui apparaissent du fait de l’agrégation d’éléments au sein d’un ensemble. Ainsi, la capacité du cerveau à produire des concepts formels n’est pas une capacité individuelle de neurones. C’est une propriété émergente qui résulte de l’interaction entre milliards de cellules.
· Transition de phase
La transformation de beaucoup de systèmes physiques, organiques ou sociaux se produit de façon discontinue. Après une période (phase) ou le système se maintient dans un état donné, il bascule. rapidement dans un nouvel état. Par exemple, l’eau est à l’état solide à une température inférieure à 0, puis une faible augmentation de température suffit à la faire transiter vers un état liquide. Le phénomène de transition de phase ou de changement de niveau d’organisation désigne ce moment sensible de basculement d’un état d’organisation stable à un autre.
Vers un nouveau paradigme
La pensée de la complexité se présente comme un nouveau paradigme né à la fois du développement et des limites des sciences contemporaines. Elle n’abandonne pas les principes de la science classique mais les intègre dans un schéma plus large et plus riche.
EDGAR MORIN
Sociologue, philosophe. Vient de publier Mes Démons (éd. Stock) et La Complexité humaine (Flammarion).
LA COMPLEXITÉ : tel est le défi majeur de la pensée contemporaine, qui nécessite une réforme de notre mode de pensée. La pensée scientifique classique s’est édifiée sur trois piliers que sont " l’ordre ", la " séparabilité ", la " raison ". Or, les assises de chacun sont aujourd’hui ébranlées par les développements mêmes des sciences qui s’étaient à l’origine fondées sur ces trois piliers.
La notion " d’ordre " se dégageait d’une conception déterministe et mécaniste du monde. Tout désordre apparent était considéré comme le fruit de notre ignorance provisoire. Derrière ce désordre apparent, il y avait un ordre caché à découvrir.
Les piliers de la science classique
Cette idée d’un ordre universel a été remise en cause d’abord par la thermodynamique qui a reconnu dans la chaleur une agitation moléculaire désordonnée, puis par la microphysique, puis par la cosmophysique, et aujourd’hui par la physique du chaos. Les idées d’ordre et de désordre cessent de s’exclure absolument l’une l’autre : d’une part un ordre organisationnel peut naître dans des conditions voisines de la turbulence, d’autre part des processus désordonnés peuvent naître à partir d’états initiaux déterministes.
La pensée complexe, loin de substituer l’idée de désordre à celle d’ordre, vise à mettre en dialogique* l’ordre, le désordre et l’organisation.
Le second pilier de la pensée classique est la notion de " séparabilité ". Elle correspond au principe cartésien selon lequel il faut, pour étudier un phénomène ou résoudre un problème, les décomposer en éléments simples. Ce principe s’est traduit dans le domaine scientifique d’une part par la spécialisation, puis l’hyper spécialisation disciplinaire, d’autre part par l’idée que la réalité objective puisse être considérée sans tenir compte de son observateur.
Or, depuis un quart de siècle se sont développées des " sciences systémiques " qui relient ce qui est étudié séparément par les disciplines traditionnelles. Leur objet est constitué par les interactions entre éléments et non plus leur séparation. L’écologie-science a pour objet les écosystèmes et la biosphère, qui sont des ensembles de constituants interdépendants qui relèvent séparément de la zoologie, de la botanique, de la microbiologie, de la géographie, des sciences physiques, etc. Les sciences de la terre envisagent notre planète comme un système complexe qui s’auto-produit et s’auto-organise ; elles articulent entre elles des disciplines autrefois séparées comme l’étaient la géologie, la météorologie, la vulcanologie, la sismologie, etc.
Autre aspect de la séparablilité : celui de la disjonction entre l’observateur et son observation. Elle a également été remise en cause par la physique contemporaine. En microphysique nous savons, depuis Heisenberg, que l’observateur interfère avec son observation. Dans les sciences humaines et sociales, il paraît de plus en plus évident qu’il n’existe aucun sociologue ou économiste qui pourrait trôner, tel Sinus, au-dessus de la société, Il est un fragment à l’intérieur de cette société, et la société, en tant que tout, est à l’intérieur de lui. La pensée complexe ne remplace pas la séparabilité par l’inséparabilité, elle appelle à une dialogique qui utilise le séparable mais l’insère dans l’inséparable. Le troisième pilier de notre mode de pensée est celui de la logique inductive-déductive-identitaire identifiée à une raison absolue. La raison classique reposait sur les trois principes d’induction, de déduction et d’identité (c’est-à-dire le rejet de la contradiction). Le premier coup de boutoir à été donné par Karl Popper contre l’induction, qui permettait de tirer des lois générales d’exemples particuliers. K. Popper a justement fait remarquer que l’on ne pouvait, en toute rigueur, induire une loi universelle telle que " tous les cygnes sont blancs ", du seul fait qu’on en avait jamais vu de noir. L’induction a incontestablement une valeur heuristique, mais non valeur de preuve absolue. Le théorème d’incomplétude de Gödel montre par ailleurs qu’un système déductif formalisé ne peut trouver en lui-même la démonstration absolue de sa validité. C’est ce qu’a montré également Tarski dans sa logique sémantique : aucun système ne dispose de moyens suffisants pour s’auto-expliquer. Il est dans certains cas possible de trouver preuve ou explication dans des métasystèmes, mais ceux-ci comportent également en eux une brèche. On peut certes élaborer des " méta-points de vue " : par exemple, pour connaître ma société, je peux comparer entre elles les sociétés contemporaines, étudier par contraste les sociétés de l’Antiquité, ou même imaginer des sociétés "possibles ". Cela me permet d’édifier une sorte de mirador à partir duquel je peux observer d’autres sociétés extérieures tout en demeurant à l’intérieur de la mienne. Mais en aucun cas, il n’existe de métasystème théorique qui permettrait de dépasser notre condition sociale ou notre condition humaine, c’est-à-dire faire de nous des êtres métasociaux et métahumains.
Enfin, les développements de certaines sciences comme la microphysique ou la cosmophysique sont arrivées de façon empiricorationnelle à des contradictions insurmontables comme celles concernant l’apparente double nature contradictoire de la particule (onde-corpuscule) et celles concernant l’origine de l’univers, de la matière, du temps, de l’espace.
Ainsi, si nous ne pouvons nous passer de la logique inductive-déductive-identitaire celle-ci ne peut être l’instrument de la certitude et de la preuve absolues. La pensée complexe appelle, non l’abandon de cette logique, mais une combinaison dialogique entre son utilisation segment par segment et sa transgression dans les trous noirs où elle cesse d’être opérationnelle.
Les trois théories
Ordre, séparabilité et raison absolue, ces trois piliers de notre mode de pensée ont donc été ébranlés par les développements des sciences contemporaines. Dès lors, comment s’acheminer dans un univers où l’ordre n’est plus absolu, ou la séparabilité est limitée, ou la logique elle-même comporte des trous ? Tel est le problème auquel s’affronte la pensée de la complexité. Une première voie d’accès est ce que l’on peut appeler aujourd’hui " les trois théories" que sont la théorie de l’information la cybernétique et la théorie des systèmes. Ces trois théories, cousines et inséparables, sont apparues au début des années 40 et se sont mutuellement fécondées.
· La théorie de l’information est un outil de traitement de l’incertitude, de la surprise, de l’inattendu. Ainsi, l’information qui indique quel est le vainqueur d’une ha-taille résout une incertitude ; celle qui annonce la mort subite d’un tyran apporte l’inattendu en même temps que la nouveauté.
Ce concept d’information permet d’entrer dans un univers où il y a à la fois de l’ordre (la redondance), du désordre (le bruit) et en extraire du nouveau (l’information elle-même). De plus, l’information peut prendre une forme organisatrice (programmatrice) au sein d’une machine cybernétique. L’information devient alors ce qui contrôle l’énergie et ce qui donne autonomie à une machine.
· La cybernétique est en elle-même une théorie des machines autonomes. L’idée de rétroaction, qu’introduit Norbert Wiener, rompt avec le principe de causalité linéaire en introduisant l’idée de boucle causale. A agit sur B et B agit en retour sur A. La cause agit sur l’effet, et l’effet sur la cause comme dans un système de chauffage où le thermostat règle la marche de la chaudière. Ce mécanisme dit de " régulation " est ce qui permet l’autonomie d’un système, ici l’autonomie thermique d’un appartement par rapport au froid extérieur. Comme on l’a très bien montré dans The wisdom of body (1930) ,dans le cas d’un organisme vivant, " l’homéostasie " est un ensemble de processus régulateurs fondés sur de multiples rétroactions. La boucle de rétroaction (appelée feed-back) permet, sous sa forme négative, de stabiliser un système, de réduire la déviance, comme c’est le cas pour l’homéostasie. Sous Sa forme positive, le feed-back est un mécanisme amplificateur, par exemple dans la situation de la montée aux extrêmes d’un conflit armé. La violence d’un protagoniste entraîne une réaction violente qui, à son tour, entraîne une réaction encore plus violente. De telles rétroactions, inflationnistes ou stabilisatrices, sont légions dans les phénomènes économiques, sociaux, politiques ou psychologiques. L’idée de rétroaction avait été pressentie par Marx lorsqu’il disait que l’infrastructure matérielle d’une société produit la superstructure (sociale, politique, idéologique), mais qu’en retour, la superstructure rétroagit sur l’infrastructure matérielle...
· La théorie des systèmes jette également les bases d’une pensée de l’organisation. La première leçon systémique est que " le tout est plus que la somme des parties ". Cela signifie qu’il existe des qualités émergentes qui naissent de l’organisation d’un tout, et qui peuvent rétroagir sur les parties. Ainsi, l’eau a des qualités émergentes par rapport à l’hydrogène et l’oxygène qui la constituent. J’ajoute que le tout est également moins que la somme des parties car les parties peuvent avoir des qualités qui sont inhibées par l’organisation de l’ensemble.
La théorie des systèmes nous aide également à penser les hiérarchies des niveaux d’organisation, les sous-systèmes et leurs imbrications, etc.
L’ensemble de ces trois théories - théorie de l’information, cybernétique et théorie des systèmes - nous introduit dans un univers des phénomènes organisés où l’organisation se fait avec et contre le désordre.
A ces trois théories, il faut ajouter les développements conceptuels apportés par l’idée d’auto-organisation. Ici, des noms doivent être mentionnés : von Neumann, von Foerster, Atlan et Prigogine. Dans sa théorie des automates auto-organisateurs, von Neumann s’est posé la question de la différence entre machines artificielles et " machines vivantes ". Il a pointé ce paradoxe : les éléments des machines artificielles sont très bien usinés, très perfectionnés mais se dégradent dès que la machine commence à fonctionner. Par contre, les machines vivantes sont composes d’éléments très peu fiables, comme les protéines, qui se dégradent sans cesse ; mais ces machines possèdent d’étranges propriétés de se développer, de se reproduire, de s’auto-régénérer en remplaçant justement les molécules dégradées par de nouvelles et les cellules mortes par des cellules neuves. La machine artificielle ne peut se réparer elle-même, s’auto-organiser et se développer, alors que la machine vivante se régénère en permanence à partir de la mort de ses cellules selon la formule d’Héraclite " vivre de mort, mourir de vie ".L’apport de von Foerster réside dans sa découverte du principe de " l’ordre par le bruit " (" Order from noise "). Ainsi, des cubes aimantés sur deux faces vont organiser un ensemble cohérent par assemblage spontané sous l’effet d’une énergie non directionnelle, à partir d’un principe d’ordre (l’aimantation). On assiste donc à la création d’un ordre à partir du désordre. Atlan a pu alors concevoir sa théorie du " hasard organisateur ". On retrouve une dialogique ordre/désordre/organisation à la naissance de l’univers à partir d’une agitation calorifique (désordre) où, dans certaines conditions (rencontres au hasard), des principes d’ordre vont permettre la constitution des noyaux, des atomes, des galaxies et des étoiles. On retrouve encore cette dialogique lors de l’émergence de la vie par rencontres entre macromolécules au sein d’une sorte de boucle auto-productrice qui finira par devenir auto-organisation vivante. Sous des formes les plus diverses, la dialogique entre l’ordre, le désordre et l’organisation, via d’innombrables inter-rétro-actions, est constamment en action dans les mondes physique, biologique et humain.
Prigogine, avec sa thermodynamique des processus irréversibles, a introduit d’une autre façon l’idée d’organisation à partir du désordre. Dans l’exemple des tourbillons de Benard on voit comment des structures cohérentes se constituent et s’auto-entretiennent, à partir d’un certain seuil d’agitation et en-deçà d’un autre seuil, dans des conditions qui seraient celles d’un désordre croissant. Bien entendu, ces organisations ont besoin d’être alimentées en énergie, de consommer, de " dissiper " de l’énergie pour se maintenir.
Dans le cas de l’être vivant, celui-ci est assez autonome pour puiser de l’énergie dans son environnement, et même d’en extraire des informations et d’en intégrer de l’organisation. C’est ce que j’ai appelé " l’auto-éco-organisation ".
La pensée de la complexité se présente donc comme un édifice à plusieurs étages. La base est formée à partir des trois théories (information, cybernétique et système) et comporte les outils nécessaires pour une théorie de l’organisation. Vient ensuite un deuxième étage avec les idées de von Neuman, von Foerster et Prigogine sur l’auto-organisation. A cet édifice, j’ai voulu apporter des éléments supplémentaires. Notamment, trois principes : le principe dialogique, le principe de récursion et le principe hologrammatique.
· Le principe dialogique unit deux principes ou notions antagonistes, qui apparemment devraient se repousser l’une l’autre, mais qui sont indissociables et indispensables pour comprendre une même réalité. Le physicien Niels Bohr a, par exemple, reconnu la nécessité de penser les particules physiques à la fois comme corpuscules et comme ondes. Comme le dit Pascal : " Le contraire d’une vérité n’est pas l’erreur mais une vérité contraire. "
N. Bhor le traduit à sa façon : " Le contraire d’une vérité triviale est une erreur stupide, mais le contraire d’une vérité prof onde est toujours une autre vérité profonde. " Le problème est donc d’unir des notions antagonistes pour penser les processus organisateurs, productifs, et créateurs dans le monde complexe de la vie et de l’histoire humaine.
· Le principe de récursion organisationnelle va au-delà du principe de la rétroactinon (feed-back); il dépasse la notion de régulation pour celle d’auto-production et auto-organisation. C’est une boucle génératrice dans laquelle les produits et les effets sont eux-mêmes créateurs de ce qui les produit. Ainsi nous, individus, sommes les produits d’un système de reproduction issu du fond des âges, mais ce système ne peut se reproduire que si nous-mêmes nous en devenons les producteurs en nous accouplant. Les individus humains produisent la société dans et par leurs interactions, mais la société, en tant que tout émergeant, produit l’humanité de ces individus en leur apportant le langage et la culture.
· Le principe " hologrammatique " met en évidence cet apparent paradoxe de certains systèmes, où non seulement la partie est dans le tout, mais le tout est dans la partie. Ainsi, chaque cellule est une partie d’un tout - l’organisme global - mais le tout est lui-même dans la partie : la totalité du patrimoine génétique est présent dans chaque cellule individuelle. De la même façon, l’individu est une partie de la société, mais la société est présente dans chaque individu en tant que tout à travers son langage, sa culture, ses normes...
On le voit, la pensée complexe propose un certain nombre d’outils de pensée issus des trois théories, des conceptions de l’auto-organisation, et qui développe ses outils propres. Cette pensée de la complexité n’est nullement une pensée qui chasse la certitude pour mettre l’incertitude, ou qui chasse la séparation pour mettre à la place l’inséparabilité, ou encore qui chasse la logique pour s’autoriser toutes les transgressions.
La démarche consiste au contraire à faire un aller et retour incessant entre certitudes et incertitudes, entre l’élémentaire et le global, entre 1e séparable et l’inséparable. De même, on utilise la logique classique et les principes d’identité, de non-contradiction, de déduction, d’induction, mais on connaît leurs limites, on sait que dans certains cas, il faut les transgresser. Il ne s’agit donc pas d’abandonner les principes de la science classique - ordre, séparabilité et logique - mais de les intégrer dans un schéma qui est à la fois plus large et plus riche. Il ne s’agit pas d’opposer un holisme global à creux à un réductionnisme systématique ; il s’agit de rattacher le concret des parties à la totalité, il faut articuler les principes d’ordre et de désordre, de séparation et de jonction, d’autonomie et de dépendance, qui sont en dialogique (complémentaires, concurrents et antagonistes) au sein de l’univers. En somme, la pensée complexe n’est pas le contraire de la pensée simplifiante, elle intègre celle-ci ; comme dirait Hegel, elle opère l’union de la simplicité et de la complexité, et même, dans le métasystème qu’elle constitue, elle fait apparaître sa propre simplicité. Le paradigme de complexité peut être énoncé non moins simplement que celui de simplification : ce dernier impose de disjoindre et de réduire ; le paradigme de complexité enjoint de relier tout en distinguant.
L’arrière fond philosophique
On trouve en fait dans l’histoire de la philosophie occidentale et orientale de nombreux éléments et prémisses d’une pensée de la complexité. Dès l’antiquité, Héraclite a posé la nécessité d’associer ensemble des termes contradictoires pour affirmer une vérité. A l’âge classique, Pascal est le penseur clé de la complexité ; rappelons le précepte qu’il formule dans ses Pensées: " Toute chose étant aidée et aidante, causée et causante, je tiens pour impossible de connaître le tout sans connaître les parties et de connaître les parties sans connaître le tout. " Plus tard, E. Kant a mis en évidence les limites ou " apories de la raison ". Chez Spinoza, on trouve l’idée de l’auto-production du monde par lui-même. Chez Hegel, dont la dialectique annonce la dialogique, cette auto-constitution devient le roman-feuilleton dans lequel l’esprit émerge de la nature pour arriver à son accomplissement ; Nietzsche a posé le premier la crise des fondements de la certitude. Dans le métamarxisme, on trouve avec Ardono, Horkheimer, et chez Lukacs, non seulement de nombreux éléments d’une critique de la raison classique, mais bien des ingrédients d’une conception de la complexité.
A l’époque contemporaine, la pensée complexe peut commencer son développement à la confluence de deux révolutions scientifiques. La première révolution a introduit l’incertitude avec la thermodynamique, la physique quantique, et la cosmophysique. Cette révolution scientifique a déclenché les réflexions épistémologiques de Popper, Kuhn, Holton, Lakatos, Feyerabend, qui ont montré que la science n’était pas la certitude mais l’hypothèse, qu’une théorie prouvée ne l’était pas définitivement et demeurait " falsifiable ", qu’il y avait du non-scientifique (postulats, paradigmes, themata) au sein de la scientificité même.
La seconde révolution scientifique, plus récente, encore indétectée, est la révolution systémique dans les sciences de la terre et la science écologique. Elle n’a pas encore trouvé son prolongement épistémologique (qu’annoncent mes propres travaux).
La pensée complexe est donc essentiellement la pensée qui traite avec l’incertitude et qui est capable de concevoir l’organisation. C’est la pensée capable de relier (complexus : ce qui est tissé ensemble) de contextualiser, de globaliser, mais en même temps capable de reconnaître le singulier, l’individuel, le concret.
Histoire de l’idée de complexité
A. WEINBERG
Les précurseurs
Dans la tradition philosophique occidentale, plusieurs grands penseurs ont compris l’importance de l’idée de complexité et des limites de la " raison pure " : Héraclie, Kant, Hegel, Nietzsche, Husserl...
C’est sans doute Pascal qui a le mieux perçu les logiques contradictoires fondatrices de la réalité physique et humaine et l’impossibilité de réduire ce monde à un ensemble de composants simples.
Théorie des systèmes et cybernétique
Etats-Unis, fin des années 40 : un bouillonnement intellectuel se produit autour d’une communauté de savants qui donne naissance à la cybernétique (N. Wiener), à la théorie des systèmes et à la théorie de l’information (C. Shannon). Parallèlement sont inventés l’ordinateur et l’informatique, et les premiers systèmes de pilotage électroniques.
Les conférences Macy
Les conférences Macy, de 1946 à 1953, furent organisées à New York sous l’égide de la Fondation Macy. Ces neuf conférences rassemblèrent un groupe de scientifiques d’horizons divers autour des thèmes fondateurs des théories de la complexité. Le mathématicien J. von Neuman, l’anthropologue G. Bateson, le sociologue Paul Lazarfeld, le psychologue Kurt Lewin, le neurophysiologiste W. McCulloch, le mathématicien N. Wiener y sont présents parmi d’autres. On y parle de systèmes, de cybernétique, de complexité, de sciences de l’esprit...
H. von Foerster fut le secrétaire de ces conférences.
L’ordre par le bruit
1960. H. von Foerster formule la notion d’ordre par le bruit (order from noise). Exemple : H. von Foerster imagine un dispositif de cubes, aimantés sur trois faces qui s’assemblent spontanément en une architecture structurée après avoir été mis en tas, puis secoués.
1968. L. von Bertalanffy publie La Théorie générale des systèmes.
Théorie du chaos
Sensibilité aux conditions initiales, attracteurs étranges, fractals... La théorie du chaos fait son apparition en météorologie puis dans les sciences de la nature. Parallèlement, d’autres théories, comme la théorie des catastrophes du mathématicien R. Thom, font leur apparition.
L’auto-organisation
1977. Ilya Prigogine reçoit le prix Nobel pour ses recherches sur les structures dissipatives. En biologie, Henri Atlan formalise une théorie de l’organisation par le " bruit " (c'est-à-dire le hasard, le désordre) applicable aux systèmes vivants. (Le Cristal et la fumée, 1979). F. Varela et Maturana, biologistes chiliens proposent une théorie des " machines auto-proïétiques ", (= " productrices de soi ").
De 1977 à 1992 E. Morin publie La Méthode : quatre volumes consacrés à la pensée de complexité.
1987. Création du Santa Fe Institute (Etat du Nouveau-Mexique, Etats-Unis), centre de recherche pluridisciplinaire, consacré aux sciences de la complexité.